Le Carnet du collectionneur Le Carnet du collectionneur

La librairie-salon de Pierre Coumans

Libraire établi depuis 12 ans à la galerie Bortier, lieu charmant fréquenté par les amateurs d’ouvrages rares ou d’occasion.

Entre le Mont des Arts et la Grand-Place se cache la galerie Bortier, petite sœur des galeries royales Saint-Hubert. Conçue en 1848 par le même architecte que ses aînées, Jean-Pierre Cluysenaer, elle relie la rue de la Madeleine à la rue Saint-Jean. Destiné aux commerces d’étalage et de colportage, ce passage couvert abrite depuis toujours des échoppes de libraires, papetiers, marchands de timbres et de musique. La partie basse de la galerie, de style néo-renaissance, est décorée de plaques en fonte ouvragées parcourues de rinceaux. La partie haute est plus simple, de style néoclassique, mais trouve son élégance dans son tracé courbe. La verrière qui couvre l’ensemble et remplace celle d’origine amène la lumière et protège de la pluie.

 

Aujourd’hui encore, les libraires d’ancien et les bouquinistes occupent l’espace. Ils forment un petit village dont l’unique rue, paisible et claire, offre des bancs de lecture. C’est à n’en point douter pour son ambiance feutrée que les habitués apprécient ce lieu hors du temps, du bruit et de la fureur.

 

La quiétude qui règne là se prolonge dans la boutique de Pierre Coumans. Ancien stagiaire au Ministère de la Défense Nationale, ce traducteur-interprète au tempérament calme a su faire de sa librairie un petit salon. Ici, on n’harangue pas, on chuchote ; on ne pérore pas, on confie. La vente relève plus de la conversation que du négoce, le libraire reconnaissant ne proposer que ce qu’il aime.

 

Au garde-à-vous sur les étagères, épaule contre épaule, les ouvrages les plus anciens bombent leur dos de cuir pour attirer les regards vers leur pièce de titre dorée il y a parfois plus de 5 siècles. De plein vélin ivoire cordé ou de maroquin rouge doublé de soie, les reliures s’ouvrent sur des lettrines ou capitales ornées racontant, pour certaines dans un ancien français, les aventures de Don Quichotte et d’Agrippa. Sur la bibliothèque voisine, le graphisme et les arts décoratifs des deux derniers siècles sont à l’honneur : l’Art nouveau, Le Corbusier, la Wiener Werkstätte et l’art japonais, mais aussi un manuel de typographie moderne, un album d’alphabets pour la pratique du « croquis-calque », ou des livres charmants dont le titre fait sourire, tel Les styles dans les arts expliqués en 12 causeries.

 

Pierre Coumans apprécie aussi les livres pour enfants du vingtième siècle, les grands portefeuilles de motifs pour papiers peints, les dessins d’architecte rehaussés de peinture, les premières éditions, les plaquettes publicitaires et le design. Depuis 30 ans qu’il chine, catalogue et conseille, le bibliophile avoue très humblement avoir acquis une renommée certaine dans le monde du livre ancien. Il participe chaque année aux salons de New York, Londres et Paris. Son expérience forgée à coup de recherches pointilleuses en fait un expert en histoire de l’édition. 

 

Face à l’hégémonie d’Internet, Pierre Coumans reste confiant. Pour lui, le livre a encore un avenir : « L’objet est une plongée dans le temps, dans l’histoire, dans les mots. Ouvrir un livre, c’est enfiler un costume. » Et comme pour chasser toute inquiétude devant les attaques du numérique, c’est sur les traits mélancoliques de Virginia Woolf, sa muse, qu’il balade son poignet et fait retentir les clics de sa souris.